Publication : 26 juin 2021 – Femina Corse Matin
On n’oublie rien de rien (…)
Jacques Brel, 1961.
On s’habitue c’est tout.
La belle saison est de retour : avec le soleil, tout commence à aller mieux dans le presque meilleur des mondes. On va pimper notre misère au soleil et se souvenir à l’automne qu’on a des trucs importants à faire comme révolutionner sa vie, changer de job, de coach, de régime alimentaire. L’été va passer, la bise soufflera et puis… Et puis, un peu comme avant, on sera marron chocolat.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Je voyageais, je buvais, j’oubliais.
Euphorie, promiscuité, mais avec le masque, s’il vous plaît, et vaccinés par-dessus le marché.
Certes, et bien, travaillez maintenant et confinez aussi par-dessus le marché. »
Immuable à un détail près.
Que nous restera-t-il alors ?
1 : nos yeux pour pleurer et un peu d’énergie pour recommencer.
2 : les artistes qui danseront après avoir chanté en même temps que nous.
En appliquant ces recettes dont ils ont le secret et qui les rendent très vivants depuis longtemps.
Un jour, comme vous et moi, ils n’ont plus eu le droit de sortir. Alors, comme vous et moi, ils ont fait autrement en investissant des terrains de jeu de fortune pour s’emparer d’autres sujets de société et/ou s’efforcer de nous divertir loin de ce-truc-dont-on-ne-dira-plus-le-nom, c’est décidé.
Les algorithmes magico-démoniaques des puissants ont fait en sorte que leurs routes et les nôtres se croisent façon bretelle d’autoroute. Tout le monde y est allé de ses trouvailles chinées sur les réseaux sociaux avec des tiercés gagnants mutant la saison d’après.
Grâce au lockdown du printemps, j’ai découvert des puristes conceptualistes essayant de figer le temps en lui donnant une réalité physique.
Ce temps qui s’est arrêté depuis belle lurette pour des jazzmen borderline fringants privés de leurs lieux de perdition et qui improvisent des concerts dans les cages d’escalier, sur les plages, au milieu des ruines de montagnes oubliées.
Ce temps qui nous échappe et qui nous reste, derrière lequel soudent des poètes à deux roues poursuivant leurs rêves d’horlogers des moteurs dans les chemins de traverse de France – et de France : parce que Navarre n’offre plus trop le droit d’asile en ce moment. Quinze ans hors taxe pour toujours.
Ainsi soient les artistes qui cherchent la vérité, qui disent la vérité en tutoyant leurs extrêmes personnels, leurs sommets de révélations. Qui étaient là avant, qui seront là après, quoi qu’il arrive, à corps et à ces cris qu’on n’ose parfois plus pousser, comme autant de symboles de cette liberté qu’on a découverte fragile depuis une année.
En ce moment, comme avant, les lire, les écouter, les voir, donnent l’espoir que tout pourrait/devrait changer, un jour.
Car quand la bise sera venue, on pourra encore vraiment compter sur eux pour garder les yeux grands ouverts.
« Et je serai pour vous un enfant laboureur, qui fait vivre sa terre pour vous offrir ses fleurs. »
Barbara, 1987.