Vous avez un message

Publication : 11 avril 2021 – Femina Corse Matin

Le temps passe et passe et passe et beaucoup de choses ont changé, qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé.
On fait le bilan calmement en s’remémorant chaque instant.
Parler des histoires d’avant comme si on avait 50 ans.

Nèg’ Marrons – 2000.

Il était tentant de parler du printemps II, après le printemps I qui a vu éclore l’espèce pandémique qu’on connaît. Mais les variantes se multiplient au point de devoir envisager le printemps III selon le même paradigme. Déprimant en somme.


Il était intéressant de faire le bilan de ces douze derniers mois à l’aune de la liste de nos nombreux apprentissages dans l’adversité. Mais la moitié d’entre nous est devenue alcoolique et/ou fumeur et/ou accro aux jeux d’argent en ligne, à la Nuciola, au fromage de chèvre.


Il fut question également de reprendre la Lockdown Therapy où elle s’était arrêtée. Saison deux ? Trois et demi avec des crossover de type couvre-feu et confinement du dimanche ? On ne sait plus, on a perdu le compte et au point où on en est, ça n’a plus de sens.


Il était possible enfin d’évoquer la peur de ne plus savoir voyager loin, se toucher, s’enlacer, s’embrasser, relever mémé tombée dans les orties. Certains diront qu’ils ne savaient déjà pas faire tout ça avant.


Que reste-t-il donc à la saison des amours au moment où on nous annonce qu’après un an de déconfiture, nous n’en avons pas terminé ? Pire encore, que nous avons déjà amorcé le deuxième tour de roue ?


Il nous reste Internet. Le seul endroit au monde où nous sommes totalement libres d’errer sans attestation à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Vraiment.
Bien que là encore nous avons le choix : devenir plus esclaves qu’auparavant en triplant le temps passé sur les réseaux sociaux (et/ou sur YouPorn). Devenir meilleur ailleurs (libre dans l’adversité, tout ça : tout un programme). C’est décidément la même problématique et la même chanson : choisir une couleur, choisir un camp. Rouge, tu t’instruis. Bleue, tu t’abrutis. Le spectre des possibilités est large en la matière.


Grâce à internet, l’heure est aussi à la réinvention des rites sociaux que nous avons perdus sur la route. Arrive en tête la visio pour le bureau mais surtout pour l’apéro.
Et pour les baisers que nous ne nous donnons plus, les bras dans lesquels nous ne tombons pas… Les engueulades trouvent leur place, les boulets n’ont pas renoncé à sévir ; rien ne se perd tout à fait, tout se transforme.


Oui, le monde semble à nos pieds sur l’écran de nos machines. Difficile parfois de les éteindre pour retourner à cette vie qu’on ne se résout pas à qualifier de transitoire bien qu’on nous serine que nous nous sommes bel et pas si mal adaptés.


En vrai, nous sommes fatigués, un peu usés, parfois déprimés, obéissants et résilients. Le printemps et le soleil n’y pourront rien, le temps qui passe non plus et les rêves sont des leurres : à l’instar de tous les animaux sauvages de cette planète qui fait la gueule, nous ne sommes pas faits pour vivre enchaînés.

Un an plus tard, c’est peut-être ça qu’il faut se dire, en même temps que God bless the web.
Sans jamais oublier les fondamentaux :


« Big Brother vous regarde. »
George Orwell – 1984.