J’écris mieux que je parle. C’est certain.
J’écris presque aussi vite que je réfléchis.
Et puis parfois, j’écris mieux que je respire.
J’écris, j’écris…
J’écris façon aspirateur sans sac sans fond.
J’aspire la matière, je la trie, je la transforme en mots, en phrases, en air de rien qui fait du bien et parfois du mal. Je pille, je segmente, j’analyse, puis je recrache pour le plaisir des uns, l’utilité des autres, l’oracle des miens.
Le process reste le même, c’est l’intention et la nature de la matière qui changent tout.
J’ai souvent l’impression de composer en artisan, en forçat. Depuis deux mois, je compose en artisan, en forçat. En masochiste, pour dire les choses. Cent pages devenues quinze, puis soixante-dix, puis vingt-cinq sous prétexte que la plume n’est pas à la hauteur de la manière dont je perçois la vie, c’est du masochisme.
Mais je le lui dois, à la vie. Elle me donne la matière, je la lui pique goulument sans remord. Je pille, je transforme, je recrache.
Pille, transforme, recrache.
Je lui dois la justesse de la beauté, la cruauté et la paix de ce qu’elle me livre sur un plateau. Je lui dois des fulgurances, je lui dois de profonds moments d’introspection. Je lui dois de grandir. Je lui dois de ne jamais être seule quand je suis seule avec ma plume.
C’est une arme, cette plume. Une arme de construction massive. C’est un cadeau, c’est une malédiction.
Qu’elle s’agite, qu’elle se taise. Qu’elle fasse le bien, qu’elle dise le mal.
Un paradoxe. Mon paradoxe chéri.
Ainsi, je me demande parfois aussi ce que la vie doit à la plume.
