Ce que la plume doit à la vie

J’écris mieux que je parle. C’est certain.

J’écris presque aussi vite que je réfléchis.

Et puis parfois, j’écris mieux que je respire.

J’écris, j’écris…

J’écris façon aspirateur sans sac sans fond.
J’aspire la matière, je la trie, je la transforme en mots, en phrases, en air de rien qui fait du bien et parfois du mal. Je pille, je segmente, j’analyse, puis je recrache pour le plaisir des uns, l’utilité des autres, l’oracle des miens.

Le process reste le même, c’est l’intention et la nature de la matière qui changent tout. 

J’ai souvent l’impression de composer en artisan, en forçat. Depuis deux mois, je compose en artisan, en forçat. En masochiste, pour dire les choses. Cent pages devenues quinze, puis soixante-dix, puis vingt-cinq sous prétexte que la plume n’est pas à la hauteur de la manière dont je perçois la vie, c’est du masochisme. 

Mais je le lui dois, à la vie. Elle me donne la matière, je la lui pique goulument sans remord. Je pille, je transforme, je recrache. 

Pille, transforme, recrache. 

Je lui dois la justesse de la beauté, la cruauté et la paix de ce qu’elle me livre sur un plateau. Je lui dois des fulgurances, je lui dois de profonds moments d’introspection. Je lui dois de grandir. Je lui dois de ne jamais être seule quand je suis seule avec ma plume.

C’est une arme, cette plume. Une arme de construction massive. C’est un cadeau, c’est une malédiction.
Qu’elle s’agite, qu’elle se taise. Qu’elle fasse le bien, qu’elle dise le mal. 

Un paradoxe. Mon paradoxe chéri.

Ainsi, je me demande parfois aussi ce que la vie doit à la plume. 

Bruxelles, 2019. C’était au temps où la plume dansait.

Première(s) fois

Le feu qu’il faut nourrir et réinventer chaque soir.

Le whisky au bord du manuscrit tombé du lit de la rivière.

L’hiver, un jour. La fin du printemps, le lendemain.
(Houston, we have a problem.)

Le temple bouddhiste qui pue la vie bien que rien ne bouge.

Le violon qui grince le premier jour, un peu moins le dernier.

Le chien-garou sentinelle qui dort mais qui est libre.

Les mots, les mots partout, tout le temps, qui font trembler de l’intérieur les murs de l’édifice silencieux qu’est devenu l’écrivain qui compose.

Dix jours durant, j’ai fait ce grand voyage dans la montagne. Seule. Je me suis promis de recommencer au bout du monde. Ad Libitum.

Ce fut une belle retraite d’artiste en compagnie du temps qu’il reste.

(To be continued.)

D’une Koi à l’autre – 20/02/2022 – Alt.1300

Ainsi soient les artistes

Publication : 26 juin 2021 – Femina Corse Matin

On n’oublie rien de rien (…)
On s’habitue c’est tout.

Jacques Brel, 1961.

La belle saison est de retour : avec le soleil, tout commence à aller mieux dans le presque meilleur des mondes. On va pimper notre misère au soleil et se souvenir à l’automne qu’on a des trucs importants à faire comme révolutionner sa vie, changer de job, de coach, de régime alimentaire. L’été va passer, la bise soufflera et puis… Et puis, un peu comme avant, on sera marron chocolat. 

« Que faisiez-vous au temps chaud ? 

Je voyageais, je buvais, j’oubliais.

Euphorie, promiscuité, mais avec le masque, s’il vous plaît, et vaccinés par-dessus le marché. 

Certes, et bien, travaillez maintenant et confinez aussi par-dessus le marché. »

Immuable à un détail près.   

Que nous restera-t-il alors ? 

1 : nos yeux pour pleurer et un peu d’énergie pour recommencer.

2 : les artistes qui danseront après avoir chanté en même temps que nous.  

En appliquant ces recettes dont ils ont le secret et qui les rendent très vivants depuis longtemps. 

Un jour, comme vous et moi, ils n’ont plus eu le droit de sortir. Alors, comme vous et moi, ils ont fait autrement en investissant des terrains de jeu de fortune pour s’emparer d’autres sujets de société et/ou s’efforcer de nous divertir loin de ce-truc-dont-on-ne-dira-plus-le-nom, c’est décidé.

Les algorithmes magico-démoniaques des puissants ont fait en sorte que leurs routes et les nôtres se croisent façon bretelle d’autoroute. Tout le monde y est allé de ses trouvailles chinées sur les réseaux sociaux avec des tiercés gagnants mutant la saison d’après. 

Grâce au lockdown du printemps, j’ai découvert des puristes conceptualistes essayant de figer le temps en lui donnant une réalité physique.

Ce temps qui s’est arrêté depuis belle lurette pour des jazzmen borderline fringants privés de leurs lieux de perdition et qui improvisent des concerts dans les cages d’escalier, sur les plages, au milieu des ruines de montagnes oubliées.

Ce temps qui nous échappe et qui nous reste, derrière lequel soudent des poètes à deux roues poursuivant leurs rêves d’horlogers des moteurs dans les chemins de traverse de France – et de France : parce que Navarre n’offre plus trop le droit d’asile en ce moment. Quinze ans hors taxe pour toujours.

Ainsi soient les artistes qui cherchent la vérité, qui disent la vérité en tutoyant leurs extrêmes personnels, leurs sommets de révélations. Qui étaient là avant, qui seront là après, quoi qu’il arrive, à corps et à ces cris qu’on n’ose parfois plus pousser, comme autant de symboles de cette liberté qu’on a découverte fragile depuis une année. 

En ce moment, comme avant, les lire, les écouter, les voir, donnent l’espoir que tout pourrait/devrait changer, un jour. 

Car quand la bise sera venue, on pourra encore vraiment compter sur eux pour garder les yeux grands ouverts.

« Et je serai pour vous un enfant laboureur, qui fait vivre sa terre pour vous offrir ses fleurs. »

Barbara, 1987.

Vous avez un message

Publication : 11 avril 2021 – Femina Corse Matin

Le temps passe et passe et passe et beaucoup de choses ont changé, qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé.
On fait le bilan calmement en s’remémorant chaque instant.
Parler des histoires d’avant comme si on avait 50 ans.

Nèg’ Marrons – 2000.

Il était tentant de parler du printemps II, après le printemps I qui a vu éclore l’espèce pandémique qu’on connaît. Mais les variantes se multiplient au point de devoir envisager le printemps III selon le même paradigme. Déprimant en somme.


Il était intéressant de faire le bilan de ces douze derniers mois à l’aune de la liste de nos nombreux apprentissages dans l’adversité. Mais la moitié d’entre nous est devenue alcoolique et/ou fumeur et/ou accro aux jeux d’argent en ligne, à la Nuciola, au fromage de chèvre.


Il fut question également de reprendre la Lockdown Therapy où elle s’était arrêtée. Saison deux ? Trois et demi avec des crossover de type couvre-feu et confinement du dimanche ? On ne sait plus, on a perdu le compte et au point où on en est, ça n’a plus de sens.


Il était possible enfin d’évoquer la peur de ne plus savoir voyager loin, se toucher, s’enlacer, s’embrasser, relever mémé tombée dans les orties. Certains diront qu’ils ne savaient déjà pas faire tout ça avant.


Que reste-t-il donc à la saison des amours au moment où on nous annonce qu’après un an de déconfiture, nous n’en avons pas terminé ? Pire encore, que nous avons déjà amorcé le deuxième tour de roue ?


Il nous reste Internet. Le seul endroit au monde où nous sommes totalement libres d’errer sans attestation à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Vraiment.
Bien que là encore nous avons le choix : devenir plus esclaves qu’auparavant en triplant le temps passé sur les réseaux sociaux (et/ou sur YouPorn). Devenir meilleur ailleurs (libre dans l’adversité, tout ça : tout un programme). C’est décidément la même problématique et la même chanson : choisir une couleur, choisir un camp. Rouge, tu t’instruis. Bleue, tu t’abrutis. Le spectre des possibilités est large en la matière.


Grâce à internet, l’heure est aussi à la réinvention des rites sociaux que nous avons perdus sur la route. Arrive en tête la visio pour le bureau mais surtout pour l’apéro.
Et pour les baisers que nous ne nous donnons plus, les bras dans lesquels nous ne tombons pas… Les engueulades trouvent leur place, les boulets n’ont pas renoncé à sévir ; rien ne se perd tout à fait, tout se transforme.


Oui, le monde semble à nos pieds sur l’écran de nos machines. Difficile parfois de les éteindre pour retourner à cette vie qu’on ne se résout pas à qualifier de transitoire bien qu’on nous serine que nous nous sommes bel et pas si mal adaptés.


En vrai, nous sommes fatigués, un peu usés, parfois déprimés, obéissants et résilients. Le printemps et le soleil n’y pourront rien, le temps qui passe non plus et les rêves sont des leurres : à l’instar de tous les animaux sauvages de cette planète qui fait la gueule, nous ne sommes pas faits pour vivre enchaînés.

Un an plus tard, c’est peut-être ça qu’il faut se dire, en même temps que God bless the web.
Sans jamais oublier les fondamentaux :


« Big Brother vous regarde. »
George Orwell – 1984.

Le goût des nôtres

Publication : 21 février 2021 – Femina Corse Matin

La vraie réussite d’une équipe, c’est d’assurer la compétitivité dans la pérennité.

 Alain Prost

D’abord, il y a les teams qui ont fait faillite. 

Drapeau rouge. Rideau. So sorry.

Il y a les teams qui enchaînent les sorties de route mais qui tiennent quand même. 

Peu mieux faire avec encouragements des commissaires.

Il y a les teams d’un soir, voire d’une heure, qui persistent et signent dans l’adversité parce que c’est plus facile et qu’il ne faut pas se laisser abattre. 

Il y a les teams tout neufs et prometteurs – pas que des beaux jours. 

Il y a les teams à géométrie variable qui télétravaillent à coups de conf call ambitieuses.

Et enfin, il y a les teams historiques, toujours en place deux confinements plus tard. 

Les fous, les audacieux qui n’attendront pas que le monde tourne à nouveau dans le bon sens pour changer de régime alimentaire.

Qui essaient, qui goûtent, qui dérapent, qui recommencent, qui reprennent la route avec les légumes de saison du panier d’hiver de la MAP dans le coffre.

Ceux-là s’étreignent sur des airs, vieux ou jeunes, qui disent leurs rêves passés, présents, go future. Ceux-là hibernent à la manière des ours en attendant que le soleil perce à nouveau – parce que pourquoi pas, après tout. Ceux-là marathonent dans les mondes parallèles de la fée Netflix. Ceux-là ne rêvent plus de voyages exotiques et partent en virée tantrique dans un coin du salon. Ceux-là organisent des carambolages sur banquette arrière dans des parkings souterrains, avec l’adrénaline de cambrioleurs de banques. Ceux-là bravent les interdits. Ceux-là déménagent pour changer d’air quand il est permis de respirer un peu. Ceux-là boivent et mangent beaucoup – et tant pis pour l’exigence estivale esthétique des prochains mois. Ceux-là osent faire des enfants en ces temps incertains. Ceux-là continuent à grimper de dangereuses falaises. Ceux-là prennent même la mer, au sens propre comme au figuré. Ceux-là ont tout compris.

Ceux-là lisent peut-être ces lignes et pourraient partager encore plus de données avec ceux qui en manquent, ceux qui sont sur le point de jeter le tablier et le volant. 

Juste le tablier, alors : l’amour ça tâche tellement que ça doit se voir et se savoir à l’heure où nos cinq à sept sont devenus aussi palpitants que l’épilogue d’un épisode de l’inspecteur Derrick. 
Le couple, grand ou petit, jeune ou ancestral, covid ou pas, ça reste la prise de risque permanente de la cuisine de haut-vol couplée à la course de grande vitesse. En cette ère 19.2 (voire 19.3, et même 19.4 : merci le Brésil et l’Afrique du Sud), il est plus que jamais le moment de réinventer la recette.

« Ça, c’est mon espace de danse et ça, c’est ton espace de danse. Tu n’envahis pas mon espace, je n’envahis pas ton espace. » Dirty Dancing, 1987.

Sans oublier les fondamentaux quand même !

Bien.venue

Publication : 23 janvier 2021 – Femina Corse Matin

Tout ce qui peut arriver de pire, arrivera.

Edward A. Murphy Jr, 1947.

Je suis née au cœur d’une fête, entre la bûche glacée et le champagne.

Paraît que c’était important de faire comme avant pour se donner le courage d’affronter après.

Je suis née dans une baignoire en fonte émaillée.

Paraît que les hôpitaux, ça craignait grave à l’époque.

Et que le vintage, ça en jetait.

Je suis née entre un tube de rouge à lèvres et des bas résilles filés.

C’était un genre de bal masqué.

D’ailleurs, je suis née masquée.

(Non, je rigole.)

Je suis née sous quinze hourras alcoolisés.

Paraît que ça aurait dû être que six, mais bon.

Je suis née dans une cage. 

(Non, je rigole.)

N’empêche qu’on n’avait pas le droit de sortir la nuit.

Et pourtant je suis née la nuit.

Rien à foutre.

Il faisait encore jour tous les matins. 

Je suis née en hiver.

Paraît qu’il a duré longtemps cette année-là. 

Je suis née avec une étiquette sur le front.

« Lockdown Baby Boom Blues ».

Certains avaient fait l’amour au printemps en rêvant d’avenir.

Je suis née en hurlant.

Paraît que c’était normal.

Paraît que c’était bon signe.

Je suis née en bonne santé.

Paraît que c’était le plus important.

Je suis née Victoire. 

Pour que les lois de l’attraction fassent effet à minuit.

Je suis née Marie.

Pour que le ciel file un coup de main aussi. 

Je suis même née Geneviève.

Ils étaient tous bourrés, faut pas leur en vouloir. 

(Moi, je ne leur en veux plus.)

Je suis née au paroxysme d’une mutation.

Demain, je me transformerai en dragon.

Je suis née dans une dystopie devenue réalité.

Mieux qu’en 69, mieux qu’en 2000.

Je suis née en élue. 

Et on m’en parlera jusqu’à la fin.

Je ne suis pas née de la dernière pluie.

Je suis née sous la neige. 

Syndrome de la page blanche.

Tout le monde a dû écrire autre chose. 

Tout le monde n’a pas écrit autre chose.

Tant pis.

Je crois que je suis bien née.

Bien équipée, bien aimée, bien armée.

Bienheureuse.

Je suis née le 31 décembre 2020.

Et promis, juré, après ça a été.

« Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu. »

Milka, 1998.

Tu retomberas amoureuse

Publication : 12 décembre 2020 – Femina Corse Matin

— Qu’as-tu pensé (…), la première fois qu’on s’est vu ?
— Toi, commence.
— J’ai pensé que tu étais… Comme un matin de Noël, plein de présents. C’est la seule façon de le décrire. 
— Et pourquoi me le dire maintenant ?
— C’est à la fin qu’on repense au commencement, non ? Enfin, voilà j’voulais que tu le saches.

MR & MRS SMITH, 2005.

Mots doux, bataille de parpaings et magie de Noël. C’est cadeau, un peu de baume au cœur au bal masqué de cette drôle de fin d’année, car l’espoir est à nouveau permis : nous avons de fortes chances de toutes nous retrouver autour d’une dinde. 

Et personne ne sera en retard puisque le lapin (mutant) ne cavalera plus en avant mais sera servi en civet à celles qui n’aiment pas la volaille (possibilité d’opter éventuellement pour le confit.né.ni de canard).

Autre nouvelle, le labo qui a inventé la pilule bleue (celle qui promet monts et merveilles pendant environ cinq heures, pas celle d’Alice) est en passe d’homologuer le vaccin qui va tout changer, tout solutionner. Un véritable miracle de Noël en somme ; certains diront que ça relève quasiment du divin.

Désolée, vraiment : de vous avoir vendu simultanément le rêve hollywoodien et le rêve survivaliste pendant quatre semaines, de vous avoir donné des conseils périlleux ad hoc, d’avoir combattu (entretenu ?) le fatalisme, pour finalement arriver à un dénouement aussi téléphoné que celui d’une comédie romantique de Noël. 

Le twist ultime de cette saison deux, c’est donc l’amour, encore et toujours ? L’amour universel qui triomphe, qui n’est pas mort comme le soleil.

On en parle du rugissement de l’enfant/gosse/pokémon/monstre au pied du sapin parce que les présents en question sont pas sur la liste ? 

« L’année prochaine, vous aurez des abonnements à des cours de soutien en ligne. »

On en parle de la bûche trop crémeuse/sucrée/aplatie/moche pointée du doigt par belle maman avec un rictus trop bienveillant pour être honnête ? 

« L’année prochaine, on ira chez ma mère. »

On en parle du body taille trente-huit offert par sa moitié ? Sauf que deux Lockdown Therapy plus tard, on a deux (mille) onces en sus sur les hanches, et lui de la mer… euh, des paillettes dans les yeux. 

« L’année prochaine, tu m’achèteras des diamants. »

Soupir. C’était bien Mad Max, les masques. La pilule rouge. Tout ça, tout ça.

Alors oui, Sam la sorcière bien aimée n’aura pas sa veillée de Noël illégale rockn’roll à la fin de la saison deux, mais cette virée en terre inconnue et hostile risque de changer la donne au pied de la dinde.

Et ne désespérons pas, tout peut encore arriver ; l’hiver est là, il n’est pas fini. Désormais, nous sommes prêtes pour la saison trois : masquées, réalistes, pas fatalistes.

Et plus amoureuses encore, de la liberté et de la vie avant tout. D’avant ou d’après, on s’en fout ; qu’importe le flacon pourvu qu’on ait la truffe, les oursins, la santé. 

Et puis les mendiants et les marrons glacés tant qu’à faire…
« – Dis donc mec, t’as l’heure s’te plaît ?
– Tu tombes bien mon loulou, j’ai remonté ma pendule… Regarde ! Dans deux secondes, je te fais couiner le nez et je te fous ton calebard sur la tête. »

The Mask, 1994.

C’est toujours à la fin qu’on repense au commencement, en soupirant de nostalgie. 

Belles fêtes à toutes celles qui le veulent (plus lui, plus elle et toutes celles qui sont seules). On l’a mérité, cette année !

Tu ne seras pas fataliste (et tu n’auras pas le choix, cette fois)

Publication : 5 décembre 2020 – Femina Corse Matin

Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse l’est à sa façon.

Léon Tolstoï, Anna Karenine, 1877.

Sur une échelle de 1 à 10, vous êtes malheureuses comment, vous ? 

Sachant qu’Anna K. est à 9 – pour ne pas dire 10, on peut toujours faire mieux. Que Trinity (Matrix, 1999 : c’est pour voir si vous suivez toujours) caracole à 7, et que Fantômette botte en touche en Suisse en affichant un score de 5. 

Candy est exclue de la compétition : 1 pour ne pas dire 0, c’est vraiment pas possible. 

« Ah, on est mal, on est mal, on est mal. » 

Un indien dans la ville (on a les références qu’on mérite), 1994.

Et on fait quoi, on fait quoi ?

Pour vivre heureuses le week-end, faisons le ménage d’hiver après celui du printemps, des gâteaux à la châtaigne et des masques ? Ça marche vraiment ? Ça marchait déjà avant (sans les masques) ? Et nous y voilà : avant, c’était mieux ? Avant, on s’éclatait vraiment dans la facilité ? 

Avant, ça commence à être loin surtout. Huit mois soient huit siècles (non vraiment, aucune ascendance marseillaise) moins deux mois de liberté conditionnelle avant la deuxième correctionnelle. On a l’avenir qu’on mérite, il paraît. Et on a beau sourire à la vie, elle ne nous rend pas grand-chose en ce moment ; encore un coup du masque, ça. 

Les raviolis à la truffe home made ? Oubliez. Il y a les rayons de farine de châtaigne dévalisés pour dix saisons et il y a les autres (rayons), dévalisés aussi. 

Sale temps surtout aussi pour les célibataires de Corse et de Navarre. Pour les ma.s.quées avec des continentaux, quasi même combat. 

Alors être heureuses dans l’adversité, seules et « à sa façon », ça a quand même tout de suite plus de gueule, une autre saveur – moins bonne que la truffe, faut pas déconner. Ou alors une saveur plus déconnante, parce que c’est devenu un vrai enjeu de la saison deux, une vraie compétition. 

Relativisons tout de même : on est plutôt dans l’ambiance Roland Garros à huis clos d’octobre dernier, pas dans les JO d’antan. 

« Et toi, le match retour de la saison deux, c’était comment ? »

« Dans mon appartement sans balcon, sans connexion internet (remember, winter is coming), sans mec. Sans gloire et sans espoir. »

« Mais tu avais à boire quand même ? »

« Ah oui, heureusement. Et de la farine de châtaigne/truffe chopée au marché noir. »

« Bravo ! Classe ! »

À Dallas même. 

Malheureuses dans la dignité, c’est okay aussi ; Anna et Trinity en savent même quelque chose. Parce qu’après tout, après « avant », après la saison deux, après le bal masqué, le fatalisme ce sera comme tout le reste : juste une question de point de vue. 

« Si Dieu n’existe pas, tout est permis. »

Fiodor Dostoïevski, Les Frères Karamazov, 1880.

(Il y a aussi les références qu’on ne méritera peut-être jamais et ce n’est pas grave.)

To be continued…

Tu suivras le lapin blanc (ou pas)

Publication : 28 novembre 2020 – Femina Corse Matin

NB : La lecture de cette chronique nécessite d’être armée d’un stylo

Tu prends la pilule bleue, l’histoire s’arrête là, tu te réveilles dans ton lit, et tu crois ce que tu veux. Tu prends la pilule rouge, tu restes au Pays des Merveilles et je te montre jusqu’où va le terrier. 

MATRIX, 1999.

Ah, les années 2000. Vingt ans dans la vue, boum, et une pandémie plus tard pour comprendre enfin/peut-être que nous avons dormi trop longtemps. 

Je ne serai pas fataliste, tu ne seras pas fataliste, nous ne serons pas…

La pilule bleue, vraiment ?

Bleu comme le ciel qu’on a encore le droit de voir, comme la mer où l’on a encore à peu près le droit d’aller. La pilule bleue qui fait rêver au saut du lit : de la dinde de Noël ou des huîtres, ou du champagne (rayez les mentions inutiles). Du coup de fusil du nouvel an (ou des 28, 29, 30 novembre : encore une fois, rayez les mentions inutiles), des soldes en janvier et – voyons grand, voyons loin – des oursinades au printemps. 

La pilule bleue, elle aide à faire passer l’autre pilule sous couvert d’une ciucciarella d’illusions, tout en faisant de nous des masochistes en puissance.

La pilule bleue, c’est pas vraiment la solution de facilité, c’est la résilience dans l’adversité. 

La pilule bleue érige l’ordinaire en extraordinaire durant à peu près cinq heures, rien de neuf sous le soleil en somme.

Je ne serai pas fataliste, tu ne seras pas fataliste, nous ne serons pas…

Et la pilule rouge ?

Celle de toutes les promesses du masque – mais pas de la plume, joker ! 

Le lapin blanc a voyagé en Asie, il a muté sur un marché et pas dans un labo à ce qu’il paraît. Il a le pelage vermeil et les yeux bleu Monory (soyez curieux, la reine de cœur nous en donne encore le droit virtuellement). Il est de retour au pays des merveilles pour jouer un mauvais tour de type bactériologique avec attaque postillons d’automne qui démonte ses copains des bois : Mad Max featuring ma Sorcière bien aimée sans Jean-Pierre le rabat-joie – mais avec Neo, ça compense grave. Soient des masques (encore), des bagnoles et des tours de magie en guise de passe d’arme pour « démonter » les barrages de contrôle à Poretta (Figari, Calvi, Ajaccio : rayez les… etc).

Et Alice dans tout ça ? Alice, c’est toi, plus moi, plus toutes celles qui le veulent (plus lui, plus elle et toutes celles qui sont seules). 

Nous voilà bien.

Et j’ai bien une idée : si on croquait dans les deux pilules ? Oui ? Non ? Vous croyez que ça ne va pas être possible non plus ?

Les jours pairs, la pilule bleue. Les jours impairs, la rouge. 

Les jours de pluie, la bleue. Les jours de Libecciu, la rouge – winter is coming.

En faisant le pari que ces graines de l’ordinaire et de l’extraordinaire semées dans nos jardins d’hiver (des délices/de Babylone/de l’Empereur) accouchent de plantes mutantes qui fleuriront au printemps. 

Fauchées en été, et pas fatalistes, on a dit. 

Allez, venez, au bal masqué. Olé, olé.

Parce que finalement, au fond, “we are all mad here” – and now, surtout. 

Lewis Carroll, 1865.

Vraiment, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Tu avanceras masquée

Publication : 22 novembre 2020 – Femina Corse Matin

Tout le monde porte un masque. Enfin évidemment, c’est une métaphore, un symbole. Nous refoulons nos désirs les plus secrets pour donner une image de nous qui soit acceptable.

The Mask, 1994.

Il fallait bien un cadre théorique, un écrin quatre étoiles pour entamer le premier chapitre de cette nouvelle saison de cette série C à rebondissements. Et qui dit saison deux, dit que nous ne partons plus de zéro car nous savons désormais de mieux en mieux avancer masquées. Pas masqué.e.s, mais bel et bien masquées ; pas le choix, pas le droit au chapitre, messieurs – pour cette fois.

Un masque, alors. Pas celui de Venise, rappelons qu’il n’est toujours pas question de flâner sur la place Saint Marc. La lagune nous remerciera plus tard, mais pas longtemps néanmoins ; il y a quand même quelques lois immuables dans cette autre version du carnaval. 

Un masque, toujours. Pas celui des cinquante nuances non plus, quoi que jouer habilement des cils et des paupières confère soudain à l’objet un certain pouvoir érotico-romantique à manier avec précaution (pas à la boulangerie par exemple, enfin c’est vous qui voyez après tout). 

Un masque, donc. Le même que l’avant-gardiste Mickaël Jackson (et ne retenons que cela ici).

Se pose alors une question sous-jacente fondamentale quant à la manière dont nous avançons masquées : quelle nouvelle image de moi ai-je envie de donner à la voisine ? À la boulangère (encore elle) ? À la maîtresse de la petite dernière ? À ma chef (si je ne suis pas moi-même la chef) ? 

Même joueur – ou presque – joue encore. Lockdown Therapy saison deux, c’est comme le rattrapage du bac, celui d’avant. La revanche après l’acte manqué. Le moment de changer, l’opportunité de rebattre les cartes. 

Je porte un masque noir parce que je suis une vraie bad girl. Je porte un masque à message parce que j’ai enfin trouvé le moyen de revendiquer des trucs importants sans que la terre entière me tombe dessus. Je porte un masque avec une truffe mignonne et des moustaches parce que j’ai toujours rêvé d’être catwoman – dommage, mon égérie du genre c’était plutôt Fantômette. 

Je porte un masque avec des têtes de panda parce que j’ai juste envie de porter un masque avec des têtes de panda et que je vous em… Pardon, c’est vrai, on avait dit acceptable. 

Choisissez votre camp : hippie, responsable, animaliste, solidaire, cinglé, etc. Soyez enfin qui vous voulez. Acceptable, pas acceptable ? Légitime, illégitime ? On s’en fout un peu maintenant, parce que les saisons deux sont celles de toutes les transgressions : chute des personnages principaux, infâmes trahisons, mutations diverses et variées (façon « La Mouche, 1987 » ou façon « je migre dans l’Himalaya » : encore une fois, choisissez votre camp). 

Se pose alors une autre question, un peu fataliste, mais après tout pourquoi pas : pour oser davantage, fallait-il alors seulement que nous avancions masquées ?

« Un p’tit baiser, chérie ? Que je vous ferais voir ma grosse gondole et ma tour de Pise, et puis je planterais ma grosse fourchette dans vos raviolis. » 

The Mask, 1994. 

On avait dit « pas le droit au chapitre », non ?

Ou alors, à la truffe, s’il vous plaît. Les raviolis.

To be continued…